samedi 24 octobre 2015

3. [L'Ascension du Haut-Mal] Où comment je décidai de ne pas me soucier du temps entre deux articles futiles



Damoiselles, damoiseaux,
La BD c’est rien, le réel c’est vieux.
En partant de cette simple phrase, beaucoup de monde s’est dit que la BD du réel, ça pouvait le faire. Parce que de la fiction, c’est bien, mais ça fait déjà un moment qu’on prend ce métier pour des sucreries enfantines, alors faudrait voir à rendre tout ça plus sérieux et gagner un salaire sérieux par la même occasion.
CHOSE N°1 : FAISONS DES LISTES
Les BD du réel, c’est bien beau comme nom, mais y a des choses très différentes qui rentrent dans ce terme. Par exemple, L’Enfance d’Alan (d’Emmanuel Guibert) qui raconte le témoignage d’un enfant pendant la Grande Dépression américaine, et Feuille de Chou, Journal d’un Tournage (de Mathieu Sapin), qui est plus proche d’un reportage gonzo sur le tournage de Gainsbourg, vie héroïque, c’est de la BD du réel. Mais à part ça, rien ne peut les lier.

Noir et blanc/couleur – réalisme/caricature – récitatifs/dialogues
cadres propres/cadres à main levée – textes bien droit/textes en bordel
des planchers en sapin de mauvaise qualité/des planches de Sapin de bonnes qualités.Tout se confronte !
Du coup faisons des cases où on pourra classer toutes ces belles BD. (Moi j’aime bien les cases.)
LA BD REPORTAGE
L’occasion de mettre des planches en contact avec des planches contact. (Je me tue à trouver des jeux de mots pour vous. Notez-le bien !)
À l’instar des reportages et les documentaires, les BD du même genre sont des comptes rendus d’événements. Le narrateur retranscrit des faits qu’il observe et rapporte en cases et pages. Qu’il s’efface ou se mette en avant, le narrateur est là comme observateur, et reste globalement passif, tentant de s’informer et de comprendre ce à quoi il assiste, quitte à devoir prendre parti un moment ou un autre.
Le Photographe d’Emmanuel Guibert, Frédéric Lemercier et Dider Lefèvre, présente par exemple le voyage de Didier Lefèvre, photographe, envoyé en Afghanistan par Médecins Sans Frontières. On se retrouve avec des reproductions de photos prises sur le terrain, et un narrateur (Didier Lefèvre, si vous avez un peu suivi) qui découvre le pays et ses conflits.
LA BD TÉMOIGNAGE
Quand Père Castor s’installe au centre de la page pour raconter une belle histoire avant d’aller dormir.
Le témoignage se différencie du reportage en cela que le narrateur a vécu les événements qu’il rapporte. Il les a subit, n’a pas pu rester qu’un simple observateur, il en est un acteur. Les interviews sont parfois un moyen simple pour introduire un témoignage.
Par exemple, au hasard, disons, sans être influencé à aucun moment par le génie de l’œuvre, Maus.
Maus est une bande dessinée (ou un roman graphique, mettez le nom que vous voulez sur vos nourritures, c’est vous qui faites vos courses après tout) qui met en scène Art Spiegelman, l’auteur, interviewant son père sur la persécution des juifs et de la Shoah.
LA BD (AUTO OU NON) BIOGRAPHIQUE
L’adolescence et les baskets, mon futur projet de thèse.
Très simplement, il s’agit de raconter la vie de quelqu’un sur une plus ou moins longue période. Carnation de Xavier Mussat raconte dix ans de vie à Angoulême. Livret de Phamille de Jean-Christophe Menu parle de son labeur à créer une famille. Persepolisde Marjane Satrapi témoigne de la vie d’elle-même en Iran, son pays natal. Bref, vous avez compris…
Il existe un sous-genre nommé "auto-fiction", où l’auteur reprend des éléments de sa vie pour la fictionner, mélanger le vrai et le faux, transposer une projection de soi dans un univers fictionnel. Manu Larcenet et Jean-Yves Ferri raconte dans Le Retour à la Terre les fabuleuses et pittoresques aventures de Manu Larssinet, dessinateur citadin, partant s’installer avec sa femme dans un paisible coin de nature.

Le Retour à la Terre, ou comment un scénariste montre à son dessinateur qu’il l’aime tellement qu’il va re-scénariser sa vie.
[/!\] Notez bien que j’utilise pour le reportage et le témoignage le terme de "narrateur". Le plus souvent, ce sera l’auteur lui-même qui se mettra en narrateur, mais il peut arriver que ce soit plus retors et que l’auteur fourbe laisse quelqu’un d’autre faire la narration du récit.
Maintenant que vous avez tout bien ces trois cases en tête, on va tout casser. (Moi j’aime bien les cases pour pouvoir mélanger leur contenu.
Pour un peu que vous ayez été attentifs (ce dont je ne doute à aucun moment, mon article est tellement passionnant que personne n’oserait lire en diagonale !) vous aurez remarqué que j’ai dit « Persepolis de Marjane Satrapi témoigne de la vie d’elle-même en Iran, son pays natal. » (Souvenez-vous, c’était y a sept phrases plus haut, un peu d’effort personnel quand même.) Persepolis est effectivement une auto-biographie, mais c’est également un témoignage de l’Iran entre le régime du Shah et celui de la révolution islamique iranienne.
Tout comme Maus est un témoignage de la Shoah, mais également une biographie du père d’Art Spiegelman (et un reportage sur la création de la biographie-témoignage puisqu’on voit en permanence le père raconter sa vie, mais le réel s’ancre aussi par les relations d’Art Spiegelman et son père (quand on vous dit qu’il faut lire cette BD)).
Le Photographe est quant à lui un reportage qui pousse sur le témoignage du dessous dudit reportage. La Feuille de Chou, Journal d’un Tournage est un reportage mais aussi une portion de vie de Mathieu Sapin.
L’Enfance d’Alan est le témoignage d’un enfant américain des années, mais également une biographie partielle d’Alan (qui est déjà la préquelle de sa vie de soldat durant la seconde guerre mondiale, racontée dans La Guerre d’Alan, qui sera également un témoignage de cette guerre).
Bah oui, ça semble normale. On fait un témoignage à travers la vie de quelqu’un : biographie-témoignage. On fait un reportage en mettant le reporteur comme personnage principal : reportage-témoignage. Pour peu qu’on fasse la biographie d’un reporteur : biographie-reportage. Et on peut continuer les mélanges dans tous les ordres possibles.
Bref, une bonne BD du réel, c’est une BD qui rentre dans plusieurs cases.
Et pour le coup, l’Ascension du Haut-Mal de David B. est un passe-partout inclassable.
Ce que je vais vous prouver la prochaine fois.