samedi 17 décembre 2016

5. [Adaptation BD/ciné] Où comment à défaut de faire des vidéos, j’écris des articles futiles

Damoiselles, damoiseaux,
Depuis quelques années j'ai un projet dans les cartons. Faire une série de vidéo sur l'adaptation de la bande dessinée au cinéma. Mais un ensemble de questions ontologiques m'ont toujours arrêté.
Déjà, pourquoi parler d'adaptation BD/Ciné ? C'quoi l'intérêt ?
Beh eh. J'sais pas. Avec le temps, y en a de plus en plus alors faut bien y poser un œil pour comprendre ce que c'est, une adaptation de BD en mouvement. Si on y regarde, le ciné et la BD ont de nombreux cousinages. Historiquement, pour commencer. Ils sont nés au 19ème siècle et n'ont pas de parents précis.

Pour le cinéma, Louis et Auguste Lumière, et Thomas Edison s'en battent la parenté (entendez, les historiens se battent pour eux). Sans compter les essais antérieurs du mouvement en image.
En bande dessinée, on considère que Rodolphe Töpffer est le papa. Mais on pourrait considérer les œuvres de William Hogarth ou la tapisserie de Bayeux comme étant également de la bande dessinée. Une très intéressante discussion entre Thierry Smolderen et Thierry Groensteen (tous les pontes théoriques se prénomment Thierry) sur la place de Töpffer est disponible ici-même.
Une tapisserie de 68 mètres racontant pleins d'histoires sur l'Angleterre, ses guerres et ses rois illégitimes. Le roman graphique du 17ème siècle.
Ensuite, pendant un long moment, la BD comme le cinéma n'ont jamais été considérés comme de réels "arts majeurs", avec des langages qui se créent peu à peu.
Également, le cinéma et la bande dessinée sont des formes d'expressions artistiques qui associent les images en séquences. D'aucun compare la pellicule à une bande dessinée (ce qui pourrait réduire la bande dessinée à une étape du cinéma, si on se disait que comparer un texte de théâtre à un scénario pour le cinéma serait réduire le théâtre à une étape du cinéma). Bien évidemment, les langages du cinéma et de la bande dessinée différent beaucoup, mais se nourrissent l'un l'autre. Les sœurs Wachowski sont imprégnées de culture comics, ce qui peut se ressentir dans plusieurs plans de leurs films. Et sans champ/contre-champ cher au septième art, son collègue du neuvième serait amputé de beaucoup. (Je prends des exemples au hasard mais on pourrait parler de Machine qui rêve de Tome, Janry et Stuf, ou de Alejandro Jodorowski. Ou plus encore.)
Pour The Matrix, le storyboard a été beaucoup plus soigné qu'un film lambda. Et ça se ressent sur l'image filmée : des noirs d'encre de chine et une netteté malgré la profondeur.
Mais y a un grand nombre de différence avec le cinéma. Les cadres, le multi-cadre, les coûts... Et surtout, le cinéma est un art qui dispose l'espace dans le temps, alors que la bande dessinée dispose le temps dans l'espace. (C'beau hein. Vous comprenez pas ? Attendez j'explique après.)
Ça pourrait paraître logique, mais au cinéma, le film a une durée, alors qu'en bande dessinée, l'album a une distance (qui se compte en nombre de pages généralement). Du coup dans un album, on joue avec le temps par rapport à l'espace disponible, et dans un film, on joue avec l'espace par rapport au temps disponible. (Ce qui n'empêche pas auteur et réalisateur d'essayer de faire l'inverse.)
Et c'est les différences qui m'intéressent. Comment un réal décide d'adapter une séquence de BD au cinéma ? Doit-il rester très proche du matériel d'origine ou en capter le suc pour en redéfinir les problématiques du format ? Comment décide-t-il ? Que décide-t-il ? Est-ce un choix pertinent ?
Tes questions elles sont bien belles, mais est-ce que ça sert pas un peu à voir comment le cinéma, média de masse et populaire, révèle la façon dont la société voit la bande dessinée, média de masse et populaire, et donc les lecteurs et auteurs, via la façon de traiter le matériel d'origine ?
Mais c'est que les questions deviennent de plus en plus technique, dites !
C'est bien possible que la réponse soit : oui. Au final, comment savoir si un objet culturel est intégré dans la société, et de quelle manière il l'est ?

J'ai toujours pensé que la bande dessinée n'était plus si dévalorisée. Personne dans mon entourage n'a jamais méprisé ce média, tout le monde paraissait même encourageant lorsque je disais vouloir prendre cette voie, et mieux, tout le monde en lisait ! Quand, tout à coup, suspense, je rencontre une personne qui, découvrant le fait que je fasse des études de bande dessinée, me demande : "mais, tu n'as jamais lu de roman ?" Abasourdi, je n'ai jamais pu répondre correctement, et j'en ai encore un certain dégoût.
Jochen Gerner nous apprend à classer la bande dessinée dans la littérature.
Cool ton histoire, mais ça sert à argumenter quoi ?
C'était juste histoire de dire que si tu ne regardes que dans ton entourage, tu risques pas de savoir comment est ancré la BD dans le monde. (Humour.) (Parce qu'on encre aussi une BD.) (Non ?) Alors prendre un média cousin qui cherche à la transposer dans son propre langage, c'est une façon de savoir comment on la considère. Est-ce fait de façon puérile, sérieuse, mal dégrossie, totalement transformée ?
Grossièrement t'es un fan de Crossed et tu veux faire pareil du coup tu changes simplement "jeu vidéo" par "bande dessinée".
Crossed, une émission qui apprend à voir un film et à dessiner des sphinx d'Egypte.
Eh, tu connais Crossed ? Ça te dit on se les refait tous en attendant la fin de Chroma ?
OK !
OK !

Mais du coup tu commences quand et par quoi, ton projet ? Marvel ou DC ?
On commence sous peu, en vrac, et franco-belge.

vendredi 11 mars 2016

4. [L'Ascension du Haut-Mal] Où comment réutiliser un exposé oral pour un article futile

Couvertures
Damoiselles, damoiseaux,
Je faisais la dernière fois un bref résumé très succinct et peut-être même erroné des BD du réel, et je finissais sur un cliffhanger des plus palpitants : L'Ascension du Haut-Mal est un inclassable dans les BD du réel.
L'Ascension du Haut-Mal est une autobiographie en six tomes de David B. qui raconte le combat de sa famille contre le Mal dont est victime son frère : l'épilepsie.
Et là mon article paraît déjà brinquebalant. Pourquoi qu'il raconte que c'est inclassable si c'est une autobiographie ? Ben attendez, ça va débuter.
ÉTAPE N°1 : ON EST CHACUN UN DAVID B. IMPUISSANT
Commençons par le plus évident : on est dans une autobiographie. On commence au tome 1 en 1964 (publié en 1996) quand David B. à ses cinq ans ne s'appelle pas encore David B. mais Pierre-François Beauchard, dit Fafou, et on termine au tome 6 en 1997 (publié en 2003), alors que David B. âgé de trente-huit ans s'appelle David B. pour le monde commun.
Je sais pas pour vous, mais pour moi, une autobiographie, ça a des airs barbants. On écoute quelqu'un raconter sa vie, youpi… Si je connais pas le quelqu'un en question, ben je bute dès le début. Mais comme je vous parle d'une bonne BD écrite par un bon auteur, David B. trouve une parade à l'ennui. Au lieu de simplement raconter ses souvenirs en les mettant dans l'ordre et dire :
"En 1964, j'habitais à Orléans, avec mes parents, mon frère et ma sœur. La guerre d'Algérie était finie depuis deux ans mais je ne savais pas encore qu'elle avait eu lieu. Je savais que De Gaulle était président de la République."
David B. fait ça :
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Saucisson-dans-l'escalier, le jeu en vogue des années 60.
Un bête changement de conjugaison : l'indicatif présent au lieu de l'indicatif imparfait. Eh ben ça change beaucoup de chose. Déjà, ce changement de temps dénote que David B. ne raconte pas ses souvenirs, mais revit son passé. Il n'a pas déjà fini de jouer à Jeanne d'Arc avec sa sœur en s'en souvenant avec nostalgie en regardant une chaise en osier vide devant une grande vitre à laquelle frappe d'enhardies gouttes de pluie (il pleut toujours avec hardiesse à la fenêtre, quand on est nostalgique, c'est connu), mais il est en train de jouer à Jeanne d'Arc avec sa sœur.
Mais également, raconter sa biographie au présent plutôt qu'au passé offre au lecteur la possibilité de voir l'histoire s'écrire en même temps qu'on la lit. On n'a pas la conjugaison qui nous titille l'œil en permanence pour dire : "eh, eh, c'est fini tout ça". On sait déjà que c'est fini, ça se passe en 1964, De Gaulle est président et les pièces de cinquante centimes ont un trou au milieu. David B. vit en direct son passé, et nous aussi.
Dire "je suis, je vois, je fais" plutôt que "j'étais, je voyais, je faisais", permet au lecteur de s'incarner dans le personnage de Fafou.
Le graphisme est également employé dans ce but. Les visages sont minimalistes, résumés par l'essentiel : un rond, un nez, des yeux, une bouche et des cheveux. Un visage un peu plus détaillé, et on se serait dit : "tiens, ça c'est David B. je reconnais bien sa tronche". Au lieu de ça, on se dit : "tiens, une coquille creuse que je peux occuper" (c'est fou ce qu'on se dit, quand même). Fafou devient un avatar au travers duquel on se sent touché par les éléments qui touchent Fafou.
Par le texte et le dessin, le "je" de Fafou devient notre "je" qu'on emploie tous les jours pour dire : "je viens de lire un article incroyablement futile sur l'Ascension du Haut-Mal". Notre implication dans l'histoire devient palpable.
MAIS POURQUOI VOULOIR UNE IMPLICATION DU LECTEUR DANS L'HISTOIRE ?
Un lecteur non-impliqué dans l'histoire, c'est un lecteur qui arrêtera sa lecture à n'importe quel moment sans y revenir. Un lecteur impliqué, c'est l'assurance de garder ce lecteur jusqu'au bout. Peu importe vers où mènera l'histoire.
Et pour le coup, David B. écrit son histoire pour une raison : la faire lire. Ce serait bête de rater ça avec quelque chose qui lui tient autant à cœur. (Je parle pour lui parce qu'il est pas là, et les absents ont toujours tort. Toc !)
De plus, il ne raconte pas qu'une simple suite d'événements. Il raconte ce qu'il y a dans sa tête. Son univers imaginaire et son passé s'associent pour donner une représentation de ses impressions. Et si le lecteur ne suit pas l'histoire comme si c'était la sienne, il risque de perdre l'envie de poursuivre sa lecture.
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Se nourrir, un Combat Ordinaire...
Est-ce qu'on continuerait à lire un livre qui montre le combat contre une blanquette de veau, l'amitié avec un grain de riz, l'acupuncture d'un monstre qui sort d'un nombril, si on n'était pas impliqué dans l'histoire ? Non, il faut qu'un personnage puisse relier tout ça sans nous perdre, et ça passe par l'empathie de l'incarnation.
Du coup, Fafou/David B. nous refile une autobiographie où il essaie de faire de son histoire l'histoire de chaque lecteur en le faisant pénétrer dans sa tête.
Mais entrer dans la tête d'un auteur, ça peut être dangereux pour la santé mentale.
MYTHES OU MYTHO ?
Dans la tête d'un auteur, c'est toujours le bordel. Y a surtout du noir à foison, c'est bien connu. Mais c'est sans compter que pour David B., la guerre, et par extension la mort, est une notion importante dès son enfance. Les hordes de mongols sous le joug de Gengis Khan qui mènent des batailles sans merci, les samouraïs faisant couler le sang de leurs ennemis à flot, Attila le Hun et ses confrères guerriers de l'Empires des Steppes… Toutes ces figures martiales, piochées dans ses lectures, l'accompagnent partout. Puis viennent le fantastique et l'ésotérisme. Des fantômes, puis celui de son grand-père, et enfin le trio de sa Trinité : la Mort, la Création et le Mal.
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Ici, David B. frime avec ses amis imaginaires trop classe. Moi j'avais un canard à vareuse comme ami imaginaire. Moins classe.
Mais ce qui est important à remarquer, c'est que son imaginaire n'est pas séparé de la réalité. Les deux ne forment qu'une seule chose : la réalité de David B. On ne voit dans l'Ascension qu'un seul regard, celui, subjectif, de l'auteur : tout ce qu'il n'aime pas est un ennemi, et un ennemi, c'est forcément un monstre ; la maladie de son frère est le pire des ennemis, elle est un monstre à pattes aux arrières-goûts de dragon chinois ; le maître en macrobiotique est un chat car il a des traits félins ; son grand-père ressemble à un oiseau au moment de sa mort, alors son fantôme sera un oiseau. La réalité s'altère entre le vécu et les souvenirs que David B. entretient.
ChatGrand-pèreDragon
Y a un air de ressemblance, avouez.
Fafou se construit son propre univers qu'il mélange au réel pour créer une armure faite de dérision afin d'affronter le monde adulte et la mort. Son imaginaire, qu'il tire de fictions ou de livres d'ésotérismes, prennent graphiquement consistance et gagnent en intensité au fur et à mesure que l'histoire avance, jusqu'à ce qu'il les mette lui-même en fiction.
Fin 4 et 5
Dernière planche du tome 4 : David B. dans son armure.
Dernière planche du tome 5 : David B. sortant de son armure.
Notons l'amusante l'intertextualité présente lorsque David B. insère dans son récit des pages de rêves, similaire à celles qu'il a pu réaliser pour Cheval Blême, un recueil BD de ses cauchemars. À partir de ce moment, le récit de sa vie fictionnée dans l'Ascension commence à atteindre peu à peu le récit de sa vie réelle.
Cheval blême
La différence entre cette page de Cheval Blême et celle de l'Ascension du Haut Mal ?
Sept ans, deux mois et neuf jours.
Raconter sa vie de façon à ce que chacun puisse s'y voir, être en empathie et comprendre les choix des personnages, c'est aussi devoir sortir d'une suite d'évènements chronologiques afin de donner une explication ou une précision supplémentaire qui manquait au récit. David B. interrompt donc régulièrement son histoire en insérant des aller-retours temporels, pour confronter sa vision de l'époque avec celle de sa famille, ou pour glisser des informations qu'il n'avait alors pas.
Dès le premier tome, David B. parle à un moment de sa relation avec son grand-père, et enchaîne directement avec sa mère en 1996 qui lui raconte aussitôt l'histoire de son grand-père pendant la Première Guerre Mondiale.
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Gardez bien les trois dernières cases en tête, parce que j'attaque dessus tout de suite, là, maintenant.
En trois cases, il enchaîne trois temps différents. Son passé, son présent, et le passé de son grand-père.
Continuant sur le thème de la guerre, il ajoute l'expérience de son autre grand-père en 39-45, puis celles de diverses personnes, dont Jacques Lob, sur la guerre d'Algérie. (Je vous ai déjà dit que la guerre et la mort était récurrent chez David B. ?) S'ensuit une discussion entre David B. auteur de 1996 et Fafou enfant de 1964. Cette rencontre entre deux versions de lui-même vient rajouter au mélange des couches du réel. Cette histoire ne vient pas se situer dans une frise chronologique, mais bien dans sa tête. La réalité telle que nous la raconte David B. n'est pas une ligne droite claire et définie, mais un mélange de différents vécus dont les limites sont poreuses.
Ou encore, dans le tome 2, le récit s'interrompt de nouveau pour montrer à voir une discussion entre lui et sa mère, pendant qu'il écrit l'Ascension, où elle lui demande de modifier des éléments de l'histoire afin de modérer la vision que pourrait avoir les lecteurs sur la maladie de son fils et sur son arrière-grand-mère. À ce moment, on enchaîne avec la vie de l'arrière-grand-mère de la mère de David B. Mais une hésitation toque à l'esprit du lecteur attentif : est-ce que l'histoire est narrée par un David B. auteur, ou par sa mère, elle-même, s'emparant de la narration inscrite dans les récitatifs ?
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Une preuve, s'il en est, que David B. fait finalement un reportage sur la censure maternelle dans sa propre œuvre. 
Et finalement, cette question se retrouve d'une façon globale dans l'ensemble des livres, car ces différents entremêlements de passés et présents, de témoignages et de discussions en famille (qui ressemblent à des interviews familiales), n'aident pas à savoir qui raconte l'histoire.
Le David B. auteur qui met en scène son passé ? Le Fafou enfant qui raconte ce qu'il est en train de vivre ? Le Pierre-François frère de Jean-Christophe qui témoigne de l'évolution de la maladie ? Les souvenirs pluriels de sa famille qui accentuent le contexte narratif ?
Cette interrogation peut laisser à penser que David B. ne jongle pas de casquette en casquette de narrateur, mais qu'il les porte simultanément. Il ne cherche pas simplement à témoigner, ni à documenter, ni à dépeindre une réalité objective, mais à détailler diverses histoires de sa famille, encastrant le présent dans le passé et le passé dans la mémoire, tout ce qui lui semble avoir de près ou de loin pour dénominateur commun un rapport avec le combat de sa famille contre le Haut-Mal de son frère.
Finalement, pour raconter l'évolution de la maladie de son frère, David B. a choisi de partir de son point de vue, de raconter sa vie et son expérience, tout en y ajoutant celles de ses connaissances proches. Grâce à ça il parvient finalement à tisser les différentes histoires qui unissent sa famille et à créer en six volumes une mythologie familiale intéressante et qui ne demande qu'à être partagée.
Autobiographie, éléments de fiction, témoignages, interviews, mythes… Si vous trouvez pas avec ces éléments qu'on atteint l'étiquette de "passe-partout" du réel pour cette Bande Dessinée, j'me demande ce qu'il vous faut !

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samedi 24 octobre 2015

3. [L'Ascension du Haut-Mal] Où comment je décidai de ne pas me soucier du temps entre deux articles futiles



Damoiselles, damoiseaux,
La BD c’est rien, le réel c’est vieux.
En partant de cette simple phrase, beaucoup de monde s’est dit que la BD du réel, ça pouvait le faire. Parce que de la fiction, c’est bien, mais ça fait déjà un moment qu’on prend ce métier pour des sucreries enfantines, alors faudrait voir à rendre tout ça plus sérieux et gagner un salaire sérieux par la même occasion.
CHOSE N°1 : FAISONS DES LISTES
Les BD du réel, c’est bien beau comme nom, mais y a des choses très différentes qui rentrent dans ce terme. Par exemple, L’Enfance d’Alan (d’Emmanuel Guibert) qui raconte le témoignage d’un enfant pendant la Grande Dépression américaine, et Feuille de Chou, Journal d’un Tournage (de Mathieu Sapin), qui est plus proche d’un reportage gonzo sur le tournage de Gainsbourg, vie héroïque, c’est de la BD du réel. Mais à part ça, rien ne peut les lier.

Noir et blanc/couleur – réalisme/caricature – récitatifs/dialogues
cadres propres/cadres à main levée – textes bien droit/textes en bordel
des planchers en sapin de mauvaise qualité/des planches de Sapin de bonnes qualités.Tout se confronte !
Du coup faisons des cases où on pourra classer toutes ces belles BD. (Moi j’aime bien les cases.)
LA BD REPORTAGE
L’occasion de mettre des planches en contact avec des planches contact. (Je me tue à trouver des jeux de mots pour vous. Notez-le bien !)
À l’instar des reportages et les documentaires, les BD du même genre sont des comptes rendus d’événements. Le narrateur retranscrit des faits qu’il observe et rapporte en cases et pages. Qu’il s’efface ou se mette en avant, le narrateur est là comme observateur, et reste globalement passif, tentant de s’informer et de comprendre ce à quoi il assiste, quitte à devoir prendre parti un moment ou un autre.
Le Photographe d’Emmanuel Guibert, Frédéric Lemercier et Dider Lefèvre, présente par exemple le voyage de Didier Lefèvre, photographe, envoyé en Afghanistan par Médecins Sans Frontières. On se retrouve avec des reproductions de photos prises sur le terrain, et un narrateur (Didier Lefèvre, si vous avez un peu suivi) qui découvre le pays et ses conflits.
LA BD TÉMOIGNAGE
Quand Père Castor s’installe au centre de la page pour raconter une belle histoire avant d’aller dormir.
Le témoignage se différencie du reportage en cela que le narrateur a vécu les événements qu’il rapporte. Il les a subit, n’a pas pu rester qu’un simple observateur, il en est un acteur. Les interviews sont parfois un moyen simple pour introduire un témoignage.
Par exemple, au hasard, disons, sans être influencé à aucun moment par le génie de l’œuvre, Maus.
Maus est une bande dessinée (ou un roman graphique, mettez le nom que vous voulez sur vos nourritures, c’est vous qui faites vos courses après tout) qui met en scène Art Spiegelman, l’auteur, interviewant son père sur la persécution des juifs et de la Shoah.
LA BD (AUTO OU NON) BIOGRAPHIQUE
L’adolescence et les baskets, mon futur projet de thèse.
Très simplement, il s’agit de raconter la vie de quelqu’un sur une plus ou moins longue période. Carnation de Xavier Mussat raconte dix ans de vie à Angoulême. Livret de Phamille de Jean-Christophe Menu parle de son labeur à créer une famille. Persepolisde Marjane Satrapi témoigne de la vie d’elle-même en Iran, son pays natal. Bref, vous avez compris…
Il existe un sous-genre nommé "auto-fiction", où l’auteur reprend des éléments de sa vie pour la fictionner, mélanger le vrai et le faux, transposer une projection de soi dans un univers fictionnel. Manu Larcenet et Jean-Yves Ferri raconte dans Le Retour à la Terre les fabuleuses et pittoresques aventures de Manu Larssinet, dessinateur citadin, partant s’installer avec sa femme dans un paisible coin de nature.

Le Retour à la Terre, ou comment un scénariste montre à son dessinateur qu’il l’aime tellement qu’il va re-scénariser sa vie.
[/!\] Notez bien que j’utilise pour le reportage et le témoignage le terme de "narrateur". Le plus souvent, ce sera l’auteur lui-même qui se mettra en narrateur, mais il peut arriver que ce soit plus retors et que l’auteur fourbe laisse quelqu’un d’autre faire la narration du récit.
Maintenant que vous avez tout bien ces trois cases en tête, on va tout casser. (Moi j’aime bien les cases pour pouvoir mélanger leur contenu.
Pour un peu que vous ayez été attentifs (ce dont je ne doute à aucun moment, mon article est tellement passionnant que personne n’oserait lire en diagonale !) vous aurez remarqué que j’ai dit « Persepolis de Marjane Satrapi témoigne de la vie d’elle-même en Iran, son pays natal. » (Souvenez-vous, c’était y a sept phrases plus haut, un peu d’effort personnel quand même.) Persepolis est effectivement une auto-biographie, mais c’est également un témoignage de l’Iran entre le régime du Shah et celui de la révolution islamique iranienne.
Tout comme Maus est un témoignage de la Shoah, mais également une biographie du père d’Art Spiegelman (et un reportage sur la création de la biographie-témoignage puisqu’on voit en permanence le père raconter sa vie, mais le réel s’ancre aussi par les relations d’Art Spiegelman et son père (quand on vous dit qu’il faut lire cette BD)).
Le Photographe est quant à lui un reportage qui pousse sur le témoignage du dessous dudit reportage. La Feuille de Chou, Journal d’un Tournage est un reportage mais aussi une portion de vie de Mathieu Sapin.
L’Enfance d’Alan est le témoignage d’un enfant américain des années, mais également une biographie partielle d’Alan (qui est déjà la préquelle de sa vie de soldat durant la seconde guerre mondiale, racontée dans La Guerre d’Alan, qui sera également un témoignage de cette guerre).
Bah oui, ça semble normale. On fait un témoignage à travers la vie de quelqu’un : biographie-témoignage. On fait un reportage en mettant le reporteur comme personnage principal : reportage-témoignage. Pour peu qu’on fasse la biographie d’un reporteur : biographie-reportage. Et on peut continuer les mélanges dans tous les ordres possibles.
Bref, une bonne BD du réel, c’est une BD qui rentre dans plusieurs cases.
Et pour le coup, l’Ascension du Haut-Mal de David B. est un passe-partout inclassable.
Ce que je vais vous prouver la prochaine fois.

dimanche 19 avril 2015

2. [Daredevil] Où comment je décidai d'inventer de la légitimité à mon avis

Damoiselles, damoiseaux.
La dernière fois, je disais sans réel argument que Marvel’s Daredevil, série diffusée par Netflix, montrait enfin un signe d’espoir pour l’adaptation des comics aux petits écrans. (Mot à mot, presque. J'ai pas peur d'un cmd+c/cmd+v, moi.)
Ben aujourd'hui, je vais essayer de donner les éléments qui me font dire ça. (Parce que je le sors pas d'un chèque envoyé par Netflix ou Marvel Studios. J'suis intègre.)
/!\ Tout ce que je vais dire va servir à mettre Daredevil en exergue par rapport aux autres séries de super-héros. Plein de super-séries possèdent déjà les caractéristiques suivantes. Mais jusque là, pas les super-séries de super-héros.
POINT N°1 : LE SYSTÈME SUR DEMANDE
Netflix propose un système de vidéo à la demande. C'est-à-dire que si vous voulez regarder l'épisode trois de la saison trois Breaking Bad, pas besoin d'attendre le troisième jour du troisième mois. Vous cliquez, vous regardez. Par conséquent, pas besoin d'attendre : les treize épisodes de Marvel's Daredevil sont sortis en même temps.
Je vois bien que vous n'êtes pas con, mais j'vais quand même prendre le temps d'expliquer pourquoi c'est un des points ultra-importants pour la série.
Si vous êtes un minimum familier avec les séries, vous savez que d'habitude, un épisode sort par semaine. C'est ce qui fait cette spécificité des sérivores : ils attendent en rongeant leurs ongles le nouvel épisode de Duck-tective (au hasard), il regarde en rongeant leurs ongles le nouvel épisode de Duck-tective, et attendent en rongeant la peau de leurs doigts, vu qu'y a plus d'ongles, le nouvel épisode de Duck-tective qui va résoudre le cliffhanger de fin du dernier épisode. (Par exemple, Oliver Queen tombe d'une falaise, une épée dans le bide, à -50°C... Combien de doigt te restera-t-il lors du prochain épisode, dans un mois ?)
En gros, un épisode te donne ta dose, et te met en manque suffisamment pour que tu y retournes religieusement sept jours plus tard reprendre ta dose.
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Les séries, métaphore de la drogue sans intraveineuse
Et du coup, le fait de ne pas avoir à faire rester le spectateur en haleine sur une semaine, ça donne de nouvelles possibilités. PAS CON !
Déjà, une temporalité maîtrisée.
Faut le dire, les scénaristes prennent la contrainte de la télé au sérieux. Souvent, une saison = une année diégétique (diégétique signifie grossièrement "dans l'univers de la série"). Du coup, ils se débrouillent pour créer une continuité temporelle logique. Entre deux épisodes, il se passera dans la série environ le même temps écoulé dans la réalité. Ou alors l'épisode se déroulera sur une semaine dans la série.
AVEC L'OFFRE SUR DEMANDE, PLUS DE CONTRAINTE DE TEMPS !
Si la série veut faire un épisode qui dure trois heures diégétiques, la série le fait. Si elle veut que l'épisode suivant se déroule une heure plus tard que la fin du dernier épisode, la série le fait. Et surtout, pas de cliffhanger qui servent à rien. Il y a des cliffhangers de fin, mais ce ne sont pas des cliffhangers forcés. La série les met parce que c'est logique dans le scénario, et que ça apporte autre chose que du fan-service.
Pour résumer, c'est du temps à l'échelle humaine !
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On vit la vie de Matt Murdock un peu comme si on vivait la nôtre, en sentant passer chaque minute quand ça fait mal.
OKAY, MAIS QUAND Y A TEMPORALITÉ, Y A AUSSI SPACIALITÉ, NON ?
Effectivement. Et l'échelle humaine s'y retrouve aussi. Alors que les films de super-héros défendent le monde (New York et le reste), qu'Arrow et The Flash protègent leurs copines et des villes de millions d'habitants, Daredevil met un masque pour sauver un simple quartier. Hell's Kitchen. Ça paraît pas grand chose, un 'tit quartier. Mais en y réfléchissant, y a déjà Iron Man, Cap'tain America, Nick Fury et le S.H.I.E.L.D. s'il se passe un truc dangereux à New York même.
Les Avengers sont un aspirateur, Daredevil une brosse à chiottes.
C'est un peu rude, dit comme ça. Mais seule une brosse WC peut nettoyer les WC. Face à une menace qui vient de l'intérieur, qui ne vise qu'un quartier, qui a déjà ses racines profondément ancrées dans le sol, seul quelqu'un qui a grandi en aimant ce quartier peut (et surtout, veut) le protéger. Et pour le coup, Matthew Murdock aime tellement Hell's Kitchen qu'il y a laissé ses yeux.
Daredevil - produits
Quand il se passe un truc à Hell's Kitchen, c'est le bazar.
ÇA FAIT DEUX FOIS QUE TU PARLES D'ÉCHELLE HUMAINE, GRABATAIRE !
Bah oui, c'pas un hasard. C'est un autre point fort de cette série : pas de grandiloquence accentuée.
Le héros est un homme quasi-ordinaire, avec simplement quelques sens plus développés que la normale. Il a refusé un poste d'avocat dans un bureau prestigieux pour pouvoir aider les petites gens. Il sauve une personne à la fois. Il tape les méchants un par un, pas par dizaine, et se blesse en retour. Il essaie de savoir si tuer est une solution. Il se pose beaucoup de question sur le diable qu'il est persuadé abrité. Un homme comme vous et moi, quoi.
Et ça change tellement des autres séries de super-héros. Oliver Queen finit ses adversaires en dix secondes, trois jours après être passé à côté de la mort. Barry Allen va tellement vite qu'il fait son jogging avec un avion supersonique. L'agent Coulson a un avion plus spacieux que l'immeuble de mon appart. John Constantine s'oppose aux forces démoniaques.
À côté de ça, Matt Murdock ne semble pas extraordinaire du tout. Et c'est ce qui rend la chose intéressante.
Bref, Daredevil, le héros à taille humaine, pour un média à taille humaine. Logique. Au cinéma, on est dépassé par la taille de l'écran. Les personnages ont déjà l'air de surhomme par leur présence démesurée. Tandis que pour une série pour la télé ou l'ordi, on a des personnages qui ne dépassent pas leur condition de simple habitant de quartier. PAS CON, DERECHEF !
Je vais parler très rapidement, pour finir, de la lumière. C'est sombre. Et c'est normal. On parle d'une partie de New-York malfamée et corrompue, avec un héros aveugle qui se bat de nuit, avec une obsession sur son diable intérieur. Le visuel sert le propos. (Et il faudra que je vérifie, mais j'ai cru remarquer que les moments avec une véritable lumière étaient ceux qui donnaient matière à l'antagoniste principal. La lumière montrerait alors la liberté et la richesse du méchant, en opposition avec la noirceur dans laquelle se démène et essaie de se dépêtrer le héros.)
Daredevil - femme en flammeLe monde vu par Matt Murdock et le monde vu par une caméra.
Pour résumer : une série cool et intelligente, bien construite, sans pathos futile ou de démesures héroïques. Deux bémols pour ma part, pas assez de rôles féminins, et j'aime pas le costume final de Daredevil. Mais pour ce dernier point, je vivrai avec.
Balèze.

1. [Daredevil] Où comment je décidai de me lancer dans des articles futiles

Damoiselles, damoiseaux.
Je ne compte pas faire un article bien construit et composé, comme on fait quand on veut se faire bien lire. Nop. Là, j'vais donner en vrai des trucs.
TRUC N° 1 :
Marvel's Daredevil, série diffusée par Netflix, montre enfin un signe d'espoir pour l'adaptation des comics aux petits écrans.
ET POURQUOI ÇA, QUE TU DIS, D'ABORD ?
Au cinéma, les super-héros, j'en parle pas ou rien qu'un peu, on a le programme pour un moment. Les supers au grand écran ont percé la toile, on en veut. Parce que c'est bien. Enfin, moi je trouve que c'est bien. On en fait sûrement un trop gros foin, mais c'est bien, quand même, non ? Bon, j'en parlerai 'têt plus tard, du genre super-héros au cinéma. Après tout, je peux bien accorder ça avec la sortie d'un film. Par exemple, dans moins d'une semaine, y a Avengers : L'Ère d'Ultron qui va sortir. Ça tombe bien, je compte aller le voir.
Bref, au ciné, on a trouvé le filon. Mais à la télé (ou sur l'ordi, peu importe, moi j'ai internet, c'pour ça que je dis "les petits écrans", m'enfin vous comprenez quand je dis "télé") ça a été dur. Je vais passer sur les séries anté-2000, bien qu'elles méritent d'être citées et discutées, parce que sinon ça risque d'être long, et qu'elles sont surtout un peu obsolète aujourd'hui (à part Loïs and Clark, c'est trop cool Loïs and Clark).

Loïs and Clark, plus qu'un couple, un modèle de vie.
Bref derechef, au tournant des années 2000, on a eu le renouveau des super-héros au cinéma. Ça tombe bien, les séries télé aux USA recommence un nouvel âge d'or dans les années 2000. Buffy, Charmed, The Sopranos, Scrubs Arrested Development, Lost, How I Met Your Mother... Et même Smallville (qui raconte l'adolescence de Clark Kent/Kal-el/Superman). Puis, à l'aube des années 2010, Marvel lance la Phase Une de son Grand Projet. On va avoir droit à des films de super-héros, où tout se passe dans un même univers, partagé. Du coup, différents supers auront leur film en solo, pour ensuite se rejoindre dans un même film, et chacune de leurs actions amènera une réelle incidence sur cet univers par la suite. Quelque chose qui ressemble à une véritable adaptation de l'esprit des comics. Pas con. ET ÇA MARCHE ! Du coup ça continue. Mais on sait déjà tous tout ça.
C'EST MARRANT, T'AVAIS DIT QUE TU PARLERAIS PAS DES FILMS. POURQUOI T'EN PARLES ALORS ?
Ben, alors, quand ça marche (et là ça marche tellement bien que même DC va suivre le délire), ça s'arrête pas là. En 2012, année du premier film Avengers, sort la série Arrow, censée parler du personnage de Green Arrow (DC). Ça a l'air de rien, comme ça. En plus Smallville vient de s'arrêter, quoi de plus normal qu'une nouvelle série de super-héros ? La différence, c'est que Arrow avait l'avantage d'arriver après les essais du genre au cinéma. Le public était déjà conquis, il n'y avait plus qu'à faire pareil, mais avec les contraintes de la série. Et le public a suivi.
Me demandez pas pourquoi. Moi non plus je comprends pas. P'têt que la tête de Stephen plaît au gens. J'sais pas.

Les yeux doux de Stephen Amell.
BON, ÇA MARCHE, OKAY. ET ALORS ?
Alors, quand ça marche, ça s'arrête pas là. (J'ai l'impression de me répéter...) Sortent en 2013, Agents of S.H.I.E.L.D (Marvel), puis en 2014, The Flash (DC), Gotham (DC) et Constantine (DC encore).

Trop plein de nuances de couleurs !
Et enfin je vais arriver à quelque chose de plus intéressant à dire. Alors déjà, on va séparer les choses. Marvel Studios continue dans son univers partagé, Agents of S.H.I.E.L.D (et toutes les séries qui arrivent après) appartiennent au même monde que celui des films, tandis que DC expérimente. Un univers à notre époque qui explique l'apparition de justiciers masqués (Arrow et The Flash) ; un univers polar, mélangeant les époque (ça se déroule trois générations après la première guerre mondiale, et ils ont des iPhones 17) (Gotham) ; un univers similaire au notre, avec des apparitions de paranormal (Constantine).
Dans un sens, DC risque plus que Marvel, mais ça ne peut que lui rapporter gros. Plus de diversité, sans continuité obligatoire entre les séries et/ou les films, ça fait plus de part de public. Mais de l'autre côté, Marvel est installé dans son univers partagé, il a ses spectateurs déjà assis, prêt à recevoir la sauce. Ils peuvent se risquer à une réalisation plus élaborées.
Mais de ce que j'ai vu, aucun de ceux-là n'arrivent à conjuguer le plaisir de l'univers des comics avec un fonctionnement intelligent de la série télé. Il y a beau avoir des tentatives, Arrow et The Flash ont des scénarios maladroits, Agent of S.H.I.E.L.D. est prévisible et pompeux et Constantine j'ai pas regardé. Seul Gotham s'en sort plutôt bien, malgré certains épisodes inégaux au début.

Pinpin, personnage-bisounours de Gotham.
Mais... Soudain, sorti de l'ombre, celui qu'on attendait presque pas, le Casse-Cou ! Daredevil vient d'arriver, avec son after-shave et sa voix de tombeur.
J'en parlerai dans le prochain article futile, tiens.